Défi littéraire – Juin 2013

Notre deuxième défi est terminé. Cette fois, c’est Quelquepart qui a choisi notre défi. Comme elle aime bien s’inspirer des gens qu’elle croise dans la rue, elle a décidé de nous faire la description de trois personnes qu’elle a observées lors d’une de ses ballades:

– Une jeune femme début vingtaine. Elle est un peu ronde, et porte une robe turquoise à pois verts, la robe assez courte montre ses cuisses, son pas est désinvolte, quand elle est passée devant moi elle a allumé une cigarette.

– Une femme avec une fillette de 3-4 ans. la dame a la peau blanche, mais la fillette a un joli teint chocolat au lait. La fillette porte des chaussures jaune serin, une jupe à volants rose fuchsia et elle avance en galopant quelques pas devant la femme.

– Un vieux monsieur, assis dans une boutique de chocolat. Il porte un habit et se tient droit devant la table. Dans sa main il tient une tasse, il est seul. Puis, elle nous a proposé de choisir une des personnes comme personnage principal, et d’inclure les deux autres dans le récit.

Voici mon texte, j’en suis beaucoup plus satisfaite que le précédent ! Je vous invite également à aller lire les autres textes : Quelquepart et La Citadine, le tout étant publié sur Les Diaphanes.

                                                                                                                              

Debout devant une table, sa tasse à la main, il rêvasse, perdu plusieurs années auparavant dans ses souvenirs. La boutique de chocolat grouille de gens pressés d’engouffrer leurs petites douceurs sur leurs quelques minutes de pause, mais il ne les voit même plus.

Il pense à elle. Sa jolie copine d’une vingtaine d’années, ronde et souriante. Jane. Juste d’entendre ce nom suffit pour lui mettre un sourire au visage. Il avait 24 ans lorsqu’il l’a rencontrée. C’était en juin, il faisait chaud, trop chaud.
1967 : Elle danse sur le rythme de la guitare d’Hendrix, les yeux clos, ce qui la distingue de la masse puisque la plupart des gens se sont étendus sous un arbre ou un point d’ombre pour se rafraîchir. 
Il se met à sourire dès que son regard se pose sur elle. Elle est jolie dans sa courte robe turquoise à pois verts qui dévoile légèrement ses cuisses. Ses bras bougent tout autour de son corps faisant tournoyer une cigarette ce qui crée un joli spectacle de lumière. Il soupire, avale plusieurs gorgées de sa bière tiède. Fait deux pas, puis la vide, peut-être le courage est-il
au fond de la bouteille. 
Il n’a pas à se poser la question plus longtemps, lorsqu’il rouvre les yeux, elle se tient devant lui avec son sourire. 
– Jane, and you?
– Euh… Bernard. You’re beautiful when you dance.
Il rougit. La bière n’était peut-être pas une si bonne idée. Ses paroles sont sorties sans qu’il y pense. Elle rigole comme une gamine. 
– You’re cute. You dance with me ?
Il hoche la tête en souriant comme un idiot. 
2013: Il lisse son costume et regarde autour de lui, l’heure du dîner est terminée, la pièce s’est vidée. Il ne reste plus que Suzie, la serveuse, qui nettoie les tables avec très peu d’entrain. Il l’aime bien, Suzie, elle reste à quelques pâtés de maisons de chez lui, un petit appartement au deuxième étage avec sa mignonne petite fille au teint couleur chocolat au lait. Bien qu’il ne connaisse pas leur histoire, Suzie refusant toujours d’en parler même après toutes ces années à placoter ensemble, il sait que la vie n’a pas été facile pour elles depuis que le papa les a quittées. Il n’a jamais osé lui avouer, mais elle est la fille qu’il aurait voulu avoir.
Elle relève la tête et lui fait son grand sourire, elle semble aussi fébrile que lui.
1967: Le mois de juin tire à sa fin. Bernard sait qu’il doit quitter demain soir pour le Canada, il rentre chez lui. Le contrat est signé depuis 2 mois déjà. Il n’en a pas parlé à Jane. Il ne sait pas quel mot choisir et il sait qu’il a trop tardé. Elle sera furieuse. Sa belle Américaine. 
Ils ont passé des heures ensemble à rire, danser, manger, se prélasser sur les plages chaudes de la Californie, visiter le pays, s’endormir sous les étoiles dans leur tente de fortune et à s’aimer tout simplement. Il a pris soin de prendre des tonnes de photos d’elle, voulant ne jamais oublier ce mois de juin avec la plus belle des femmes qu’il a connues. 
Du Janis Joplin joue en fond sonore, ça leur rappelle leur rencontre. Il lui flatte les cheveux, elle fredonne en ne se doutant de rien.
– Freedom is just another word for nothing left to lose… Nothing don’t mean nothing honey if it ain’t free, now, now.
Elle a une voix si adorable. Il aimerait tant avoir le courage de déserter. Mais il a signé, sur un coup de tête, à cause d’une peine d’amour, et il est un homme de parole. Il prendra l’avion demain soir et rentrera à la base le surlendemain. Il tourne le visage et laisse couler une larme solitaire sur sa joue. 
2013: Suzie est maintenant occupée à remplir les présentoirs pour l’afflux de fin d’après-midi. Elle a mis une sélection de musique douce qui concorde parfaitement avec le moment sur la chaîne stéréo encastrée dans un des murs colorés de la chocolaterie. Frank Ocean chante Thinking About You pendant que Bernard regarde l’horloge pour la centième fois de la journée.
Il s’impatiente, il commence à croire à un canular…
Suzie sursaute. Bernard a laissé tomber sa tasse sur le carrelage. Elle relève la tête pour apercevoir une dame en robe turquoise qui lui frôle les genoux. Elle la reconnaît immédiatement pour en avoir entendu parler si souvent. Elle tient une lettre à la main. Une lettre écrite sur le même papier vélin crème que celle de Bernard.
– Jane ?
– Bernard !
L’ambiance est chargée d’émotions, de non-dits, de regrets, de joie de se retrouver… Suzie sourit.
Aujourd’hui, 18 juin, c’est l’anniversaire de Bernard. Elle lui a fait un cadeau pour ses 70 ans. Grâce à internet, elle a retracé Jane. Sa belle Américaine. Elle leur a donné un rendez-vous mystérieux à chacun sur une missive postale anonyme. 46 ans plus tard, Bernard reçoit de nouveau le plus beau cadeau de fête de sa vie.

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